La puissance de la conversation thérapeutique
Qu’est-ce que l’hypnose sans transe ?
Lorsqu’on parle d’hypnose, beaucoup imaginent encore une forme d’induction formelle, avec fermeture des yeux, relaxation profonde, et voix monocorde du praticien. Pourtant, l’hypnose ericksonienne, dans sa forme la plus subtile, peut se pratiquer sans induction formelle, sans même que le client ait conscience d’être « hypnotisé ». On parle alors d’hypnose conversationnelle… et même parfois d’hypnose sans hypnose.
L’hypnose formelle : l’induction structurée
L’hypnose formelle, telle qu’on la découvre dans la plupart des formations, se déroule généralement en deux temps. Le praticien propose d’abord une induction d’une quinzaine à une vingtaine de minutes : par des suggestions de détente, de respiration, de visualisation, il accompagne le patient vers un état modifié de conscience. Ce n’est qu’ensuite que commence le travail thérapeutique proprement dit, à l’aide de protocoles, de métaphores, d’anecdotes, de suggestions ou de visualisations symboliques. L’inconscient du client est alors sollicité pour “changer ce qui doit être changé”.
L’hypnose conversationnelle : une induction naturelle
Dans l’hypnose conversationnelle, le praticien n’a plus besoin de cette entrée formelle en transe. Il utilise directement le langage — questions, phrases inductives, suggestions indirectes, silences… — pour favoriser une fermeture naturelle des yeux et une modification progressive de l’état de conscience. C’est souvent dans l’échange même que le changement s’opère. Le thérapeute parle, questionne, reformule… et tout à coup, le client commence à se déconnecter du présent, à « plonger », à changer de rythme. L’état hypnotique est là — mais sans qu’on l’ait “provoqué”. On l’a simplement laissé émerger.
L’hypnose sans hypnose : la transe spontanée comme matière première
Encore plus subtile, encore plus fine, l’hypnose “sans hypnose” est une pratique que seuls certains thérapeutes expérimentés peuvent explorer. Ici, on ne cherche plus à produire un état modifié de conscience. On le repère.
Car les états modifiés de conscience apparaissent naturellement dans la conversation humaine : une émotion qui émerge, un souvenir qui resurgit, un regard qui se perd dans le vide, un silence soudain… Ces moments sont précieux. Ils signalent une transe spontanée. Et c’est dans ces micro-instants que le praticien glisse une parole, une question, une suggestion qui résonne profondément — permettant au cerveau de recadrer une croyance limitante, de nettoyer une émotion, ou de générer une solution nouvelle.
Dans ce style d’accompagnement, le client peut avoir l’impression qu’il ne s’agit que d’une simple discussion. Une conversation comme une autre. Pourtant, derrière cette apparente simplicité, chaque mot, chaque silence, chaque question est intentionnel.
Il s’agit d’un échange stratégique, orienté vers la solution. Le thérapeute, en apparence détendu et à l’écoute, agit avec la précision d’un laser : son intention est claire, alignée, focalisée uniquement sur un objectif — celui du client.
Il est à l’affût. À l’écoute des indices, des ouvertures, des failles aussi, non pas pour “agir sur” le client, mais pour l’accompagner à se transformer lui-même. À prendre conscience. À recadrer une croyance limitante. À faire émerger une ressource.
Parfois, il s’agira simplement d’aider la personne à observer sa problématique depuis un autre point de vue. Celui d’un fils, d’une fille, d’un conjoint, d’un parent… Et dans ce déplacement subtil, une émotion s’apaise, une compréhension nouvelle émerge, un fardeau s’allège.
C’est là que l’hypnose sans hypnose prend tout son sens : rien n’est imposé. Tout se fait de l’intérieur.
Mon parcours vers cette approche
Quand j’ai commencé à me former à l’IFHE, Olivier Lockert — mon formateur — disait que l’hypnose conversationnelle était le graal du praticien. Mais il ajoutait aussi qu’on ne pouvait pas vraiment s’y former : c’est une compétence qui se développe avec la pratique. Évidemment, ce graal, je voulais l’atteindre.
Et je m’y suis employé, avec une certaine aisance — grâce à ma capacité de modélisation et mon profil HPI, j’apprends vite au contact des meilleurs.
C’est ainsi que j’ai rencontré Josick Guermeur. Hypnothérapeute d’exception, ami proche de la fille de Milton Erickson, Josick est sans doute la personne qui m’a le plus marqué dans ce domaine. Il pouvait vous parler de la route 66, des chevaux ou de politique… et pendant ce temps, vous receviez une formation complète, sans même vous en rendre compte. Dans une simple conversation il nous mettait dans la tête, profondément dans l’inconscient, des protocoles, des logiques de travail, différentes approches… Plus tard, en séance, vous utilisiez des outils dont vous ignoriez que vous les aviez appris. C’était déjà là. Installé dans l’inconscient.
L’hypnose sans hypnose : quand le changement se produit… sans qu’on le provoque
L’hypnose sans hypnose, c’est quelque chose qui m’est arrivé naturellement.
Très tôt, j’ai été profondément à l’écoute de mes clients. En séance, bien sûr, mais aussi dans leurs retours — parfois des semaines, des mois, voire des années plus tard. Et à plusieurs reprises, j’ai entendu des phrases du genre :
“Je ne sais pas ce que vous avez fait, mais depuis cette première séance, tout a changé.”
Et ce, alors même que je n’avais utilisé ni induction formelle, ni hypnose conversationnelle classique. Juste une discussion, un échange… apparemment banal.
Au début, je dois l’avouer, ça m’a déconcerté. Puis c’est revenu. Encore. Et encore. Trop souvent pour que ce soit une simple coïncidence.
Le dogme de la transe profonde
Quand j’ai appris l’hypnose thérapeutique il y a une vingtaine d’années, le discours dominant était clair :
Pas de changement sans transe. Et si possible, une belle transe profonde.
Parce que, disaient les experts, “c’est dans les couches profondes de l’inconscient que se cache la racine du problème”.
Alors on se formait à des inductions longues, précises, aux tests de profondeur, aux ancrages et aux protocoles structurés. Et, bien sûr, à se glorifier un peu :
“Moi, je sais mettre les gens en transe profonde. Et rapidement en plus.”
Comme si c’était ça, la preuve du bon praticien.
Et pourtant… Mon superviseur de l’époque, que je respectais beaucoup, pensait comme moi. Il avait aussi observé ces phénomènes de changement sans transe. Mais lui non plus n’osait en parler à ses pairs. Par peur d’être accusé de ne pas faire de la “vraie hypnose”.
Alors il se taisait. Moi aussi. En tout cas au début.
Le temps, la pratique… et le recul
Heureusement, les temps ont changé. Pas pour tout le monde, bien sûr. Certains restent attachés à leur vision rigide de l’hypnose. Mais aujourd’hui, ceux qui ont un peu de bouteille — dont je commence à faire partie après 20 ans de pratique — savent que l’hypnose sans transe est une voie tout aussi efficace.
Parfois même plus.
Pourquoi ? Parce qu’elle ne cherche rien à imposer. Elle n’a rien à prouver. Elle respecte la personne, son rythme, sa structure. Et surtout, elle reconnaît une vérité simple mais fondamentale :
Ce n’est pas nous, praticiens, qui changeons les gens.
C’est le client qui change. Quand il est prêt. Quand il se sent écouté. Quand une parole, une question, un silence bien placé fait tilt.
Et ça, aucune induction, aussi belle soit-elle, ne peut le forcer.
L’essentiel : l’expérience du client
Au fond, l’important n’est pas la technique. Pas la profondeur de transe. Pas la virtuosité du praticien.
L’important, c’est le résultat. C’est ce que vit le client. C’est ce qui change pour lui.
Alors oui, certains continueront à mesurer la qualité d’une séance au degré de transe atteint.
Moi, je préfère m’attacher à ce que la personne emporte en repartant :
Un poids en moins.
Une émotion libérée.
Une croyance recadrée.
Un élan retrouvé.
L’égo du thérapeute ? On devrait pouvoir s’asseoir dessus. Et rester humble. Parce que même avec la meilleure technique du monde,
si le client ne veut pas changer… il ne changera pas.
Et si parfois il change, sans qu’on sache exactement pourquoi…
Eh bien tant mieux.
Et bien sûr… parfois, je fais de l’hypnose formelle
Cela étant dit, il m’arrive aussi, évidemment, de pratiquer l’hypnose formelle.
Parce que chaque client est unique. Parce que chaque contexte appelle une réponse différente. Et parfois, c’est précisément ce cadre-là qui est juste.
Certains clients ont besoin d’un rituel clair, d’un moment marqué où “quelque chose” se passe. Ils veulent ressentir qu’il y a eu une transe, une déconnexion, un basculement. C’est ce qu’ils viennent chercher, c’est ce qui les rassure, c’est ce qui donne du poids à l’expérience.
D’autres fois, l’hypnose formelle est simplement la meilleure façon d’entrer en contact avec l’inconscient du client, à ce moment-là, dans cette situation-là. Alors je l’utilise. Avec justesse, avec souplesse. Sans dogme.
Car ce n’est pas la technique qui prime. C’est la personne. C’est le moment. C’est le lien.
Et le saviez-vous ? Parfois, l’écoute suffit
Et le saviez-vous ?
Parfois, ce n’est ni une technique, ni une induction, ni même une question bien formulée qui déclenche le changement.
Parfois, c’est tout simplement le fait d’être écouté.
Vraiment écouté.
Par une personne présente, attentive, sincèrement intéressée,
qui ne juge pas.
Dans ces moments-là, quelque chose se détend.
Une défense tombe.
Une émotion jusque-là retenue peut s’exprimer.
Et le processus de transformation commence.
Mais pour que cela soit possible, encore faut-il que le praticien ait fait, lui aussi, un certain chemin.
Qu’il ait suffisamment nettoyé ses propres filtres de perception.
Qu’il ait appris à accueillir l’autre depuis cet espace du cœur où le jugement et la critique sont absents.
Là où il n’y a rien à prouver, juste à être.
C’est peut-être ça, au fond, le plus grand pouvoir thérapeutique :
la qualité de présence.